Qui suis-je?

Je rassemble ici deux événements qui, a priori, n’ont pas de rapport. 

Le premier est l’actualisation dans les médias, depuis un certain temps, de la question du genre. Les articles de journaux, les émissions de télévision, les publications, les débats, les manifestations de rue, abondent. Les catégories se précisent, on connaît de plus en plus cet acronyme : LGBT, et il y a aussi d’autres lettres qui suivent. 

Le deuxième est lié au procès des attentats de 13-Novembre à Paris, et plus particulièrement  le cas Salah Abdeslam, ce terroriste qui au dernier moment, a renoncé à activer la ceinture d’explosifs qu’il portait sur lui *. 

Abdeslam a accepté de parler, enfin. Et l’on commence à comprendre les deux facettes de cet homme aujourd’hui. D’un côté, une personne qui a été envahie jusqu’à la moelle par une idéologie, celle qui promettait le paradis immédiat juste après avoir été déchiqueté par sa ceinture d’explosifs, en récompense de son courage mis au service d’un fanatisme politico-religieux – l’islamisme – auquel il a cru dur comme fer. De l’autre un pauvre petit gars de Molenbeek, qui n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie, et qui en cherchait naïvement mais sincèrement une perspective qui lui révèle qui il était. Héro déchu d’un côté, misérable individu de l’autre.

Je me réjouis sincèrement de ce qu’un très grand nombre de personnes souffrant depuis longtemps d’une incertitude quant à leur identité de genre puissent enfin trouver une communauté qui réponde à un questionnement fondamental, et se dire : « j’existe, je ne suis pas seul-e, je ne suis pas fou – folle, je peux sortir dans la rue, parler à ma famille, mes amis, au corps médical, et sur mon lieu de travail. Je peux y mettre un nom. »

Je me réjouis moins du sort d’Abdeslam. Lui aussi s’est identifié, on dit même radicalisé. Il a stratifié une identité, un peu rapidement c’est vrai, celle d’un futur martyr pour qui exterminer des mécréants est la voie de Bien, avec en transcendance une récompense suprême, le paradis immédiat. 

N’arrêtez jamais votre quête. Gardez toujours une part de doute, une dynamique qui puisse vous conduire au plus près du fond de vous-même, de qui vous êtes vraiment. Mettez toute votre énergie à cette recherche. Car il y a au fond de vous cette part de lumière et cette part d’ombre, la première part vous tiendra debout, vous rendra libre, et vous permettra de porter et contenir la deuxième.

  • * Lire les chroniques hebdomadaires tenues par Emmanuel Carrère concernant ce procès dans le journal « Le Temps ».