Estelle et la montagne.
Il y a une dizaine d’années, nous avons eu la chance d’acquérir dans le Val d’Anniviers un « mayen », sorte de minuscule grange-écurie qui était utilisée à l’époque temporairement en été par les paysans de cette haute vallée, au cours de leurs « remuages », ces migrations verticales dictées par les saisons et les besoins du bétail. Aujourd’hui, rares sont les « mayens » qui ont conservés leur fonction d’antan, la plupart sont à l’abandon ou ont carrément disparu, sauf quelques-uns qui ont été transformés en résidences secondaires rustiques. Un panneau solaire pour l’éclairage, une source d’eau pas trop éloignée, voilà tout l’équipement, parfois en été et toujours en hiver, pas d’accès autre que la marche.
Ce qui m’a frappé très vite en faisant connaissance des Anniviards, c’est qu’ils savent parfaitement que, malgré toutes les précautions prises – les ouvrages de protection sont gigantesques – la montagne peut à tout moment leur tomber sur la tête. Cela leur confère un respect particulier de la nature qui les entoure, à laquelle ils acceptent de se soumettre.
Je ne connais rien au freeride, et je ne connaissais pas Estelle Balet, 21 ans, décédée tragiquement le 19 avril 2016 dans la pratique de ce sport. Les médias ont comblé mes lacunes. Anniviarde et surdouée, elle maîtrisait parfaitement son art, en avait fait sa vie. Avec un amour de la montagne chevillé au corps, elle avait avec acharnement perfectionné au plus haut point sa technique, afin de faire un avec des pentes vertigineuses de neige et rochers, et s’y exprimer totalement. « Incroyable de « snowboarder » avec cette vue; c’est si beau ». Estelle, comme la plupart des Anniviards, craignait les avalanches. Pour ressentir au plus profond de soi toute ia majesté de la montagne en y unissant son âme, elle a dépassé cette peur. Ce jour-là, d’une pichenette funeste, l’âme de la montagne a choisi: elle a gardé pour elle celle d’Estelle. Elle y restera gravée éternellement.
Le temps du deuil sera long et mes pensées vont à sa famille, ses proches. Je m’incline profondément devant eux.