Deuxième noble vérité: docteur Bouddha.

Contrairement à certains médecins de chez nous, le docteur Bouddha va vous expliquer en détail son diagnostic. Ce sera long mais très précis, rien ne vous sera caché.

Tout d’abord une description complète de l’environnement dans lequel vous baignez, et dont vous êtes un élément assez complexe disposant d’organes pour le saisir. Elle sera déclinée en 5 parties, appelées agrégats.

Première partie: matière et forme, tous les éléments chimiques, leurs composés, leurs états, ainsi que toutes les formes d’énergie qui les animent.

Deuxième partie: les sensations que vous ressentez par l’intermédiaire de vos six sens. Oeil, nez, oreille, bouche, peau, mental. Oui, votre mental est aussi un organe, d’ailleurs gros fournisseur de sensations. Vous voulez quelques exemples? Vous avez le sentiment d’avoir déjà vécu une situation. Ou votre peau vous procure une sensation de chaleur. Ou encore votre oreille se fait l’interface d’une sonnerie de trompettes avant que vous identifiez des trompettes. Vous pouvez imaginer d’autres sensations provenant des autres organes des sens. Généralement, vous classez toutes ces sensations en deux groupes: agréable/désagréable.

Troisième partie: les perceptions qui vous sont transmises également par l’intermédiaire des six sens. Les perceptions font un lien entre sensations et phénomènes ou objets. Par exemple un cri strident sera associé à un événement grave, un drapeau flottant à du vent, une douleur à une agression physique, etc. Les perceptions sont donc un agrégat plus avancé que le précédent, puisque elles sont les fruits d’un grand nombre d’expériences.

Quatrième partie: la volition, ou action commandée par une volonté. La plupart du temps, une sensation, suivie éventuellement d’une perception, vous engage à une réaction,  par exemple à faire une expérience. Elle peut être spontanée: vous giflez le moustique qui vous pique, ou plus élaborée, vous vous pincez pour vérifier si cela provoque toujours une sensation déjà vécue, ou vous demandez à votre voisin de vous pincer, ou vous pincez votre voisin afin de savoir s’il ressent la même chose que vous.

Cinquième partie: la conscience. C’est la conscience de l’existence de. Une conscience visuelle vous donne le sentiment de l’existence d’une forme, une conscience olfactive de l’existence d’une odeur, etc. Conscience du goût, conscience tactile, conscience auditive, conscience d’objets mentaux, comme les idées.

Jusque là, pas de problème. L’univers dont vous faites partie tourne comme une horloge, avec toutes sortes de pièces, un peu curieuses je veux bien l’admettre, comme la matière, les sensations, les perceptions, la volonté d’action, et la conscience, tout cela animé par de multiples énergies. Tout va bien docteur.

Mais ça se gâte pour deux raisons.

  1. la conscience vous procure l’illusion que vous êtes une singularité dans cette machine, que vous avez un statut particulier parmi tout le reste: vous êtes moi. Tout le reste est autre. Moi. Et ce moi est équipé d’une intelligence, dite rationnelle, qui va faire de cette illusion une construction toujours plus sophistiquée pour être moi, toujours plus moi, entraîner une course folle vers un moi. C’est la recherche illusoire d’un moi permanent, éternel.
  2. Toute action du moindre rouage de la machine a une conséquence, un effet sur un autre rouage. Cette action est d’ailleurs elle-même effet d’une précédente action, et cette horloge monstrueuse, avec ces cinq agrégats et son énergie, évolue sans fin à chaque micro-seconde. C’est la loi de la production conditionnée. Un état d’impermanence absolue et infinie. Tout est relatif, il n’y a pas de moi stable.

Ignorer cet état de fait – l’ignorance est ici synonyme de souffrance – provoque une soif inextingible de moi, une course effrénée vers toujours plus de moi, dans une ronde infernale et desespérée. C’est l’enfer.

C’est grave docteur?