Peler les pommes.

Nous étions quatre enfants, et certains soirs à la veillée, l’un de nous était prié d’aller chercher des pommes, une bonne dizaine, à la cave. Notre père s’était déjà couché. Sa journée de travail traversée, affaiblit dans sa santé, il ne traînait guère après le repas du soir. Nous étions réunis avec notre mère autour de la table de la cuisine, elle pelait les pommes dont les quartiers tombaient dans les mains qui se tendaient.

Je n’ai aucun souvenir de ce qui s’échangeait alors, certainement une pétillante mitraille de ces petits riens vécus dans la journée, joies ou querelles d’enfants, vécus scolaires ou partages de surprises. Que me reste-t-il de ces instants, après plus de soixante ans? Impossible de le dire en mots: c’est ce qu’il y avait en amont des gestes de ma mère, ce tout concentré, indicible, qui faisait courir le couteau sous la pelure du fruit, pinçait de deux doigts le quartier de pomme tendu vers nos menottes. Cet amont mystique, ce commencement ici et maintenant, j’y veille aujourd’hui, à chacun de mes actes.