2084. La fin du monde.

Lectures de l’été 1.

Je vous propose pour quelques lettres de partager avec moi durant cet été quelques lectures récentes et moins récentes.

2084. La fin du monde.

BOUALEM SANSAL

Editions Gallimard 2015.

Grand Prix de l’Académie française.

Boualem Sansal est né dans un petit village algérien en 1949. Après une formation d’ingénieur et un doctorat en économie, il sera enseignant, consultant, chef d’entreprise et haut fonctionnaire au ministère de l’industrie algérien, dont il sera limogé en 2003. En effet, il se montrera toujours très critique vis-à-vis de la politique de son pays, de toutes les religions et en particulier de l’islam. Sa carrière d’écrivain commence assez tardivement, en 1997, mais sera rapidement reconnue et récompensée de nombreux prix. Censuré en Algérie, il y demeure toujours cependant.

Son dernier roman, « 2084. La fin du monde », est un roman de science-fiction, dans la filiation du roman « 1984 » d’Orwell. Dans une langue acérée, pleine d’un humour terrifiant, il y décrit la quête d’un homme, Ati, qui cherche à échapper à un système fondé sur l’amnésie et la soumission à un dieu unique, où l’opression déroule ses horreurs grâce à un système de surveillance de toute pensée personnelle. Mais le système se révèle avoir de nombreuses failles, dans lesquelles Ati pourra y trouver un chemin.

Ati n’était pas libre et ne le serait jamais mais, fort seulement de ses doutes et de ses peurs, il se sentait plus vrai qu’Abi (prophète délégué du dieu unique Yölah), plus grand que la Juste Fraternité et son tentaculaire Appareil, plus vivant que la masse inerte et houleuse des fidèles, il avait acquis la conscience de son état, la liberté était là, dans la perception que nous ne sommes pas libres mais que nous possédons le pouvoir de nous battre jusqu’à la mort pour l’être. Il lui paraissait évident que la vraie victoire est dans les combats perdus d’avance mais menés jusqu’au bout. En vertu de cela, il comprit que la mort qui le frapperait serait sienne et non celle de l’Appareil, elle découlerait de sa volonté, de sa révolte intérieure, elle ne serait jamais la sanction d’une déviation, d’un manquement aux lois du Système. L’Appareil peut le détruire, l’effacer, il pourrait le retourner, le reprogrammer et lui faire adorer la soumission jusqu’à la folie, il ne pourra lui enlever ce qu’il ne connaît pas, n’a jamais vu, jamais eu, n’a jamais reçu ni donné, que pourtant il hait par-dessus tout et traque sans fin : la liberté. Il le savait, comme l’homme sait que la mort est la fin de la vie – cette chose insaisissable par essence est son désaveu et sa fin, mais elle est aussi sa justification – , le Système n’ayant d’autre finalité que d’empêcher la liberté d’apparaître, d’enchaîner les hommes et de les tuer, son intérêt le commande mais c’est aussi la seule jouissance qu’il peut tirer de sa misérable existence. L’esclave qui se sait esclave sera toujours plus libre et plus grand que son maître, fût-il le roi du monde.