Jalons.
Voici ma deuxième lecture de l’été.
Jalons.
DAG HAMMARSKJÖLD
Editions du Félin 2010
Dag Hammarskjöld est mort dans un accident d’avion en septembre 1961, très probablement un attentat, cependant jamais prouvé. Secrétaire des Nations Unies à cette époque, il s’était fortement engagé dans le conflit concernant le Katanga, et cela ne faisait pas l’affaire de nombreux requins, dont l’ex empire soviétique, qui s’intéressaient alors fortement à cette région bourrée de matières premières et de diamants.
Né en 1905 en Suède d’un père qui sera premier ministre, et d’une mère à la sensibilité littéraire et religieuse, il se destinera très tôt à une vocation politique – alors que la théologie le tentait très fortement – et devint ministre d’Etat en 1951 puis secrétaire général de l’ONU en 1953.
Il mena sa tâche comme un sacerdoce, en célibataire solitaire et acharné à ses missions, comme la crise de Suez et le drame congolais, qui devait lui coûter la vie. Nous dirions aujourd’hui qu’il fût un martyr, un vrai.
Après sa mort, le manuscrit de « Jalons » fut retrouvé dans son appartement new-yorkais, avec une lettre adressée à l’un de ses amis. Elle l’autorisait à le publier. Ce qu’il fit.
Sorte de journal de bord très intime, écrit dès 20 ans jusqu’à sa mort, il révèle un être solitaire, tourmenté par sa trop lourde mission qu’il accepte cependant de mener jusqu’à la mort.
1954
Alors j’ai vu que le mur n’avait jamais existé et que « l’inouï » se trouve ici, qu’il est ceci et rien d’autre : que le « sacrifice » a lieu ici et maintenant, toujours et partout. Qu’il consiste à être, dans une entière soumission, cette part de Dieu qu’en moi il se donne à lui-même.
Nous portons la responsabilité de nos trahisons, mais nous ne tirons aucune gloire à notre œuvre. La liberté de l’homme est une liberté de trahir Dieu. Dieu nous aime, mais notre réponse est facultative !
1956
Pour se défendre contre les constructeurs de systèmes :
Ta vie personnelle ne peut pas avoir un sens durable et spécifique. Elle ne peut acquérir un sens dérivé qu’en se rangeant et en se soumettant à quelque chose qui « dure » et qui possède déjà un « sens ». Est-ce là ce que nous essayons d’objectiver en parlant de la Vie ? Ta vie peut-elle avoir un sens en tant que fragment de la « Vie » ?
Si la Vie existe ? – Essaie et tu l’éprouveras : la Vie en tant que réalité. Et si la Vie a un « sens » ? Eprouve la Vie en tant que réalité et tu trouveras la question dénuée de sens.
« Essayer » ? – Essaie, en osant faire le bond, de te jeter dans une soumission sans réserves. Ose-le quand on te défie, car ce n’est qu’à la lumière du défi que tu distingueras le carrefour et que tu pourras espérer choisir en toute lucidité de tourner le dos à la vie personnelle – sans garder le droit de te retourner.
Tu verras que, vivant selon le « modèle », tu seras libéré du besoin de vivre « dans le troupeau ».
Tu découvriras que, soumise à la Vie, ta vie conserve tout son sens, indépendamment du cadre qu’on t’accordera pour la développer.
Tu découvriras que la liberté de l’adieu perpétuel, du renoncement continuel à soi, conférera à ton expérience de la réalité la pureté et la clarté qui sont – réalisation de toi.
Tu découvriras que la soumission, étant un acte de volonté, demande à être sans cesse renouvelée et qu’elle se brise si, en quoi que ce soit, nous permettons à notre vie individuelle de retourner vers le centre.