Le chant fécond.

« Étant une femme Nunkui, je vais appelant le comestible à l’existence. Les racines sekemur, là où elles sont appuyées, là où elles se trouvent, je les ai faites ainsi, bien séparées. Étant de la même espèce, après mon passage elles continuent à naître. Les racines de sekemur se sont « spéciées ». Elles sont en train de venir à moi. Étant une femme Nunkui, je vais, appelant le comestible à l’existence. Derrière moi, répondant à mon appel, il continue à naître. »*

Qu’est-ce que c’est ? Ce sont les paroles d’un « anent », ces chansons, chez les Jivaros, destinées à communiquer avec la nature, les esprits de la forêt et toutes sortes de phénomènes, mythes et légendes. Ici, il s’agit d’une supplique entonnée par une femme Achuar, quelque part dans la forêt amazonienne. Elle est destinée à favoriser la croissance des plants de manioc qu’elle vient de mettre en terre, car dans cette tribu, la culture des jardins est exclusivement l’affaire des femmes.

Dans nos civilisations occidentales où le rationnel commence sérieusement à montrer ses limites, au lieu de rire d’une telle pratique, nous ferions mieux de nous y pencher très sérieusement pour donner sa place existentielle à notre environnement. Quels rapports sommes-nous encore capables d’entretenir avec lui ?

*Les lances du crépuscule, Philippe Descola, éd. Terre Humaine poche, p.108