Encore ce chevreuil…
Je suis au centre Assise pour 15 jours. Entre autres, je suis chargé de cuisine pour une session de 6 jours. Ce matin vers 11h, j’ai terminé les préparatifs du repas, pour 12 personnes. C’est mon heure de chambre, que je convertis en promenade dans l’immense forêt du domaine. A peine 100 mètres parcourus, le chevreuil est là, à une vingtaine de mètres à peine. Sa première réaction est la fuite. Je m’immobilise et l’appelle comme j’appellerais un chat. Je ne parle malheureusement pas chevreuil, par contre lui entend parfaitement les signes des humains. J’ai la prétention de croire qu’il m’a compris. Il s’arrête, interrogé, tourne la tête et me regarde, probablement pour jauger cet abruti d’humain qui le dérange et l’interpelle comme si c’était un chat. Sans doute rassuré – cet abruti doit être inoffensif – il entre tranquillement dans les bosquets.
La vie d’un chevreuil en pleine nature est continuellement en danger. Il y a parfois quelques braconniers, bien sûr. Mais il y a surtout les chiens, ces braves toutous qui gardent les maisons. Leurs maîtres imbéciles vous en content avec émotion la douceur, la fidélité et l’obéissance sans faille, mais une fois les molosses lâchés (« ils aiment tellement s’ébattre dans la forêt » disent ces faux naïfs), ils deviennent de redoutables prédateurs.
Il y a longtemps de cela, alors que je découvrais les Grisons en Suisse, et leurs parcs naturels nationaux, j’ai rencontré un vieux chasseur. « J’ai tué au moins 200 cerfs dans ma vie » m’a-t-il dit, et aussitôt, ses yeux se sont remplis de larmes, d’une tristesse sincère. Ce n’était pas là des regrets. J’ai pu imaginer tout le vide dont il avait dû être capable de faire en lui, à chaque fois que son doigt se posait sur la gâchette, un cerf dans sa ligne de mire, pour que ses yeux ne s’embuent pas trop vite. J’ai aimé ce chasseur.